Bestiaire

Etre fils de tapir

D'onagre, d'éléphant,

Hommes serait-ce pire

Que d'être vos enfants ?

 

 

 

 

PARENTE

 

Une guêpe maçonne à la croupe piquante,

Sans nulle ambiguïté, aguichait le pécheur.

Un bourdon, sans vertu, amateur d'âmes sœurs,

Vint faire un brin de cour à cette provocante :

 

« Madame, je le crois, et l'idée se décante,

Demain sera métis en tout dard tout honneur.

Je suis libre de mœurs tout autant que de cœur

Et serais très flatté de tenir sous l'acanthe

 

Belle de votre race et de votre acabit. »

Alors ces différents mêlèrent leurs habits.

Pour être plus précis, leurs habits et le reste,

 

Car, quelques temps plus tard, des hybrides naquirent

Que guêpes ni bourdons, dans leurs essaims, ne prirent…

Parlez de parenté aux rejetons, ils pestent.

 

 

 

BEAUTE FATALE

 

Un manicou* allait, de nuit,

A nul ne sait trop quel banquet.

Museau pointu, manteau coquet,

Ne croyant pas qu'après minuit

 

Chasseur lui causerait ennuis,

Il regardait comme laquais

Les rats sortis de leurs bosquets

Pour prendre modèle sur lui.

 

Soudain un chien, puis deux, puis trois

Vinrent lui barrer le chemin.

Il sentit une énorme main

 

Précéder un : « Je me l'octroie ! »

Depuis, Xérus vous le dira,

Il est souvent bon d'être rat.

 

* Opossum.

 

 

 

 

METAMORPHOSE

 

Murène aimait un congre. Etait-ce inconcevable ?

Le mâle, à ce qu'on dit, ne manquait pas de charme

Et, ses consœurs « congrues » y allaient de leurs larmes

En évoquant ce traître, ô ! combien praticable.

 

Plainte, chez Cupidon, jugée irrecevable,

Avant que le potin ne devienne vacarme

On décida, tout net, que les dents feraient armes,

Pour occire l'impure et vorace coupable…

 

Mais il était trop tard quand tomba la sentence.

Murène et son beau congre avaient fait descendance.

Leurs anguilles n'ayant lu aucun testament,

 

Après avoir mené une métamorphose

Devinrent nos serpents aux venimeuses doses,

Sourds sicaires, siffleurs, surtout sans sentiments.

 

 

 

LA LEGENDE D'ERNEST

 

Ernest, un vieux corbeau, malgré l'âge encor' beau,

Taquinait la corneille avec tempérament.

Ses enfants naturels vous diront si je mens.

Le noir Casanova donnait tant de lambeaux

 

De son cœur d'artichaut pour honorer ses baux,

Qu'un jour sa légitime, agacée, fit serment

Qu'elle contribuerait à son enterrement

Vu qu'il se fichait bien de ses savons verbaux.

 

Alors, le vieux coureur se fendit d'un discours

Qui fit tout corvidé voler à son secours.

Sa ténébreuse armée, sur des ponts de bateaux,

 

En scandant « Vive Ernest ! », partit en dissidence …

Ne cherchez plus depuis, est-ce coïncidence ?

D'antillais charognards flirtant sur nos coteaux.

 

 

 

CANE-OIE

 

Cane, avec canetons dandinant du croupion,

Descendait au trou d'eau en chantant, bien sûr, faux.

Poule et son compagnon, jugeant que c'est défaut,

Lui dirent : Côté chant, nous sommes des champions !

 

Si vous tenez vraiment à nous damer le pion,

La méthode « coin-coin » n'est pas celle qu'il faut.

Promettez de garder secrète cette info,

Vous chanterez bientôt même l'air des lampions.

 

Au pied des bananiers pousse une herbe magique,

C'est elle qui nous donne un timbre magnifique.

Mais, chut ! … C'est entre nous. Cane, en famille, alla

 

Tâter de cet herbier réputé fort utile

Pour faire une chorale aux envolées faciles.

Erreur, fatale erreur, Mangouste habitait là.

 

 

 

 

CHEVAL

 

Grand-père avait un étalon.

C'était un animal superbe

Et qui ne mangeait que de l'herbe.

Cou d'Akhal-téké, muscles longs,

 

Il avait nom : Bel Apollon.

Quand grand-papa tonnait du verbe,

Quand l'alcool le rendait acerbe,

On le jetait, lourd comme plomb,

 

Sur la selle de sa monture

Qui, opinant de l'encolure,

Rentrait du bourg au camp de base.

 

Et même le hennissement

D'un top-modèle de jument

Ne le faisait rater la case.

 

 

 

COCU

 

Une garce de chienne, aux torrides chaleurs,

Faisait, du sexe, appel sans honte au moindre mâle ;

Ce que son compagnon ne trouvait pas normal,

Obligé qu'il était de montrer sa valeur

 

A tous les prétendants à sa canine fleur.

Or, le brave toutou s'en sortait plutôt mal

Et voyait fréquemment sa levrette, animale,

Charnellement soudée à meilleurs querelleurs.

 

Alors, un jour, cocu n'en pouvant plus de peine,

Décida de ne plus disputer cet open

Et, queue basse, il partit pendant que l'infidèle

 

Chavirait d'un plaisir même pas clandestin,

Explorée, explosée par un « âne-mâtin…»

Cierges, quand vous œuvrez, vent souffle sur chandelles.

 

 

 

 

SOIF ET ( FIN )

 

L'amble semble, d'emblée, être la meilleure arme

De l'immense cornue à la robe bizarre.

Son tailleur, pour le moins, dut faire les beaux-arts !

Et le top qu'il choisit ne manque pas de charme ;

 

Quand les singes guetteurs donnent dans le vacarme,

La géante, avertie qu'un danger se prépare

S'enfuit, et sa foulée la dépose autre part,

Laissant impalas, gnous et autres qui s'alarment…

 

Mais la soif coûte cher dans le Serengeti.

Ceux qui ont déjà bu souffrent de l'appétit

Et se soignent parfois à la chair de girafe.

 

L'élégante, vers l'eau, s'avance imprudemment,

Puis se penche pour boire. C'est enfin le moment…

La mort lui saute aux flancs que des félins paraphent.

 

 

 

COUP DU LAPIN

 

Joseph GARENNE, un chaud lapin,

Aimait courir le guilledou.

Or commercer en billets doux,

Faucher copines à copains

 

Peut vous envoyer « ad sapin. »

C'est-à-dire qu'on ne sait d'où

Peut arriver le fatal coup

De quelque solide gourdin.

 

GARENNE, entre autres, taquinait

La belle d'un certain MINET

Qui l'entendait d'une autre oreille

 

Et qui, à mi-août tendit

Embuscade où GARENNE dit

Amen et prit dernier sommeil.

 

 

 

IDIOT

 

Sur le fil de l'eau

Une libellule

Faisait point-virgule.

Sorti d'un « lolo* »

 

Un rat, pas mulot,

Lui cria : Circule !

Encas ridicule

Et de plus solo.

 

Demoiselle file

Puis le temps défile

Et, le rat jeûneur

 

Qui ne trouve pas

Un meilleur repas,

Ventre creux se meurt.

 

* Epicerie guadeloupéenne.

 

 

 

NUDISTE

 

Un ver de terre allait nu

Comme un ver évidemment.

Un porc en chacun dormant,

Pour vaquer on est tenu

 

D'avoir un peu de tenue !

Dame poule s'alarmant

Le dit à son coq d'amant

Qui, d'un bec sans retenue,

 

Coupe le nudiste en deux ;

Une tête et une queue :

Qui veut la queue ? Qui la tête ?

 

La pondeuse, sans dédain,

Et surtout hardie soudain,

Choisit la queue et caquète.

 

 

 

SNOBISME

 

Dame blatte dit à punaise

Qui, pour ne pas être aperçue,

S'était laissée mettre dessus

Sommier, matelas et alaise :

 

ça ne vous met pas mal à l'aise ?

Moi, je serais vraiment déçue

De loger ainsi à l'insu

De certains. Prenez donc vos aises !

 

Et blatte s'en va au dehors

Voir si soleil se cache ou sort

Pour mettre en valeur son habit.

 

Las, un volatile passant

Remercie le ciel du présent

De si remarquable acabit.

 

 

 

 

MOUCHE

 

Entre deux barres, de mesure,

Une noire petite mouche,

Pas du genre insecte farouche,

Vint s'inscrire dans la lecture

 

Que déchiffrait une pointure.

L'artiste, sans la trouver louche,

Exécuta l'intruse touche,

D'ailleurs bien dans la tessiture.

 

L'accord fut d'une force telle

Que l'homme ajusta ses bretelles

Et s'applaudit avec ferveur …

 

Mouche apeurée prit son envol

Et ne fut plus note qu'on vole.

Depuis, l'œuvre a moins de saveur.

 

 

 

LIBRE ESCLAVE

 

Don Aurélio avait un beau perroquet vert ;

Cadeau que Cristina lui offrit avec cage.

Et le dur gallego qui disait que chaque âge

En passant n'abandonne en nous que ses travers

 

Parlait au volatile en termes moins sévères.

L'oiseau en l'écoutant louchait vers le bocage

Où certains de ses pairs tenaient autre langage.

Ils n'accordaient crédit même pas à ces vers

 

Que j'ai pondus, c'est vrai, avec ma plume d'oie.

Un jour Don Aurélio, distrait ou maladroit,

Laissa la cage ouverte et coco prit son vol.

 

Las il fut mal reçu par gens moins grassouillets

Et de plein gré revint à son confort douillet…

Libre esclave c'est toi qui préfères ta geôle.